1 er juin 2022
Monsieur Gilles Simeoni,
Président du Conseil Exécutif,
Monsieur Guy Armanet,
Président de l’office de l’environnement
La Coordination TERRA qui regroupe les associations agréées de protection de l’environnement en Corse et la ligue contre le cancer, veulent attirer votre attention sur l’incompatibilité qui existe entre l’urgence climatique et les projets de ZMEL tout autour de la Corse, projets qui, hélas, trouvent un écho favorable dans le schéma de mise en valeur de la mer du padduc (annexe 6, livre II, pages 52 à 74) et projets en cours de réalisation puisque constituant
– l’un des axes de la circulaire de l’État, déclinaison régionale de « Destination France », qui préconise l’installation de coffres, prioritairement en Méditerranée, pour l’accueil de la grande plaisance
– l’un des axes de « Corse relance », « Atout Corse ».
Des dizaines de ZMEL pour la grande plaisance sont donc programmées autour de la Corse :
Une carte situe de manière approximative l’ensemble des projets :
Les ZMEL (Zone de Mouillage et d’Équipements Légers) sont des « ports flottants » : des« coffres », énormes blocs de béton de plusieurs tonnes déposés sur le fond marin sont reliés à des bouées en surface sur lesquelles les yachts de la grande plaisance peuvent s’amarrer.
Un des coffres installé à Bonifacio en 2021
En 2018 environ 2000 unités « grande plaisance » (navires très luxueux de plus de 24 mètres et qui peuvent largement dépasser les 100 mètres) sont venues en Corse ce qui représente 1/8 de la flotte mondiale, flotte en constante augmentation
Les utilisateurs vivent à bord en autarcie.
Pour posséder un yacht il faut être milliardaire.
Les associations corses de protection de l’environnement sont opposées à ces projets. Pourquoi ?
Le GIEC nous donne trois ans pour inverser la tendance de nos émissions de gaz à effet de serre.
Selon la MRAe, l’un des principaux enjeux environnementaux du programme opérationnel 2021- 2027 concerne la réduction de la pollution de l’air et des consommations énergétiques par la promotion du développement des énergies renouvelables et des mobilités propres.
La commission européenne, par un communiqué de presse du 17 mai 2021, définit dans le cadre du pacte vert pour l’Europe une stratégie de développement d’une économie bleue durable dont l’objectif numéro 1 est d’atteindre la neutralité climatique et l’objectif zéro pollution.
La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) adoptée par décret le 21 avril 2020, est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Elle donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone, circulaire et durable. Elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court-moyen termes : les budgets carbone. Elle a deux ambitions : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et réduire l’empreinte carbone de la consommation des Français. Les décideurs publics, à l’échelle nationale comme territoriale, doivent la prendre en compte.
On demande au citoyen lambda de voyager moins et moins vite
Or ces projets encouragent la grande plaisance internationale à voyager davantage et à venir en Corse alors que la Corse est déjà surfréquentée ;
On demande au citoyen lambda de réduire sa consommation énergétique
Or la consommation moyenne de gasoil pour un « petit » yacht long de 70 mètres est d’environ 500 litres par heure : ces yachts qui voyagent beaucoup consomment d’énormes quantités de carburants et rejettent donc d’énormes quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère ou dans l’eau détruisant les habitats et les espèces en présence tout en véhiculant des agents pathogènes ou des espèces invasives.
Ces projets accentuent par conséquent le dérèglement climatique.
L’État se justifie en affirmant agir au nom de la transition écologique et justifie l’installation de ces coffres sous couvert de la protection d’une espèce végétale, la posidonie (qui doit effectivement être protégée).
Or certaines zones de mouillage empiètent largement sur l’herbier : voir image ci-dessous
Sur cet exemple du coffre prévu face à la plage du Lazaret à Ajaccio il est facile de constater que la moitié du cercle d’évitage des yachts est située au-dessus de l’herbier.
Or ces bateaux portent gravement atteinte à la vie animale marine :
- le bruit permanent des moteurs qui ne sont jamais arrêtés, celui dû aux allées et venues des scooters de mer et autres navettes, sont une pollution sonore pour tous les animaux
- la lumière permanente est une pollution lumineuse particulièrement néfaste aux oiseaux,
- des rejets toxiques sont souvent constatés en mer.mer (eaux usées, huiles…)
Quels sont les sites choisis ?
La grande majorité est située dans des aires marines dites protégées face à des sites terrestres emblématiques. Traités « au cas par cas » ces projets sont même dispensés d’évaluation environnementale.
Exemples :
1 : les 14 coffres de Sant’Amanza sont dans la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio et dans un site Natura 2000 pour la protection des oiseaux. La partie littorale terrestre est un espace remarquable et caractéristique (ERC) de la loi Littoral et du PADDUC
2 : 11 coffres sont prévus dans le parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate et en partie en Natura 2000, face à des ERC
3 : 4 coffres sont dans le site Natura 2000 du Golfe d’Ajaccio (images ci-dessous) où des rouliers ont même obtenu une dérogation pour rejeter les eaux de lavages des scrubbers à boucle ouverte dans la bande des 3 milles, donc dans les eaux portuaires pendant toute la durée des escales, tout en continuant à utiliser du carburant à 3,5% de soufre alors que les sédiments sont déjà fortement pollués par des contaminants métalliques.
4 –Il existe même un projet de coffres à Girolata, dans le site UNESCO labellisé patrimoine universel, sur la côte nord-occidentale de l’île !
Or ces AMP, aires marines protégées, ont été créées en fonction de leur riche biodiversité, de la présence d’habitats ou d’espèces dont la conservation est une obligation légale et, en ces temps d’effondrement de la biodiversité, une nécessité. Dans une aire marine protégée les êtres vivants doivent être protégés !
Ces choix sont volontaires : il convient que ces riches plaisanciers puissent mouiller dans les sites les plus beaux …
Bizarrement, il n’existe par exemple aucun projet de coffre en face de la friche industrielle de l’ancienne usine d’amiante de Canari !
Ces mouillages organisés sont donc destructeurs de la faune et de la flore marines : au lieu de protéger la biodiversité, ils vont accentuer son effondrement.
Il s’agit d’un processus d’urbanisation et de privatisation de la mer, sans l’ombre d’un code de cet urbanisme marin, (covisibilités depuis la terre, assainissement de groupements d’habitations -certes flottantes- de densité non négligeables).
En résumé, ces projets de ZMEL pour la grande plaisance mises en place au nom du plan de relance économique et donc aux frais du contribuable (une enveloppe de dizaines de millions d’euros d’argent public est déjà réservée (circulaire ministérielle du 20 avril), au profit de très riches « people » et aux dépens des générations présentes et futures (ces zones réservées à ces yachts sont en même temps des zones interdites aux activités nautiques de M. Tout le Monde : paddle et kayak interdits, baignades interdites) :
- participeront à l’effondrement de la biodiversité,
- multiplieront les émissions de CO2 et de polluants et sont donc en totale contradiction avec la stratégie nationale bas carbone, stratégie qui n’est donc pas appliquée,
- sont et seront une pompe aspirante qui augmentera la surfréquentation de la Corse.
Cette surfréquentation ne profite en aucun cas à l’enrichissement de la plus grande majorité des Corses, puisque le PIB par habitant 2018- 2019 saison record, affiche même une baisse significative. La Corse reste la région la plus pauvre de France.
Ce ne sont pas des ZMEL (zones de mouillages et équipements légers) qu’il faut installer, mais des ZIEM : zones interdites aux engins motorisés, comme sur les côtes italiennes et espagnoles de la précieuse et fragile Méditerranée.
« En les multipliant tout autour de notre Île, sur nos sites les plus protégés, les plus emblématiques, qui subissent déjà les effets néfastes d’une surfréquentation, on porte une grave atteinte à sa riche identité naturelle qui fait notre fierté et son attrait touristique et donc économique. On peut alors affirmer que ces zones de mouillage définies par l’État vont à l’encontre de l’objectif poursuivi par le padduc: trouver un juste équilibre entre le développement économique et la préservation de l’environnement. »
Nous vous demandons, Monsieur le Président de l’Éxécutif, Monsieur le Président de l’office de l’environnement,
- d’empêcher l’État de réaliser son projet d’urbanisation de la mer autour de la Corse, projet qui s’inscrit dans la continuité de l’urbanisation par des villas secondaires de nos littoraux,
- de préciser à la population corse vos positions en la matière,
- d’inclure dans la révision du padduc ce problème extrêmement important.
Nous vous prions d’agréer, Messieurs, l’expression de notre respectueuse considération.
Les associations de la Coordination TERRA