LE GARDE – Intervention du 10 septembre 2022 –
Les associations sont à vos côtés depuis longtemps pour dénoncer la pollution de l’air, les conséquences sur la santé et la biodiversité, les nuisances à la vie sociale et les impacts sur le milieu marin des bateaux de croisières qui consomment de grandes quantités d’hydrocarbures, une énergie fossile qui contribue très largement au changement climatique.
Il faut dissocier les croisières à vocation récréative, emblème d’un tourisme de masse, des autres navires (ferries, méthanier, pétrolier), dont l’utilité n’est pas remise en question, mais qui bénéficient pour certains de dérogation inacceptable.
Le gigantisme actuel des bateaux de croisières a permis sans conteste la démocratisation de ce loisir par des offres tarifaires attrayantes.
Organisés sur le modèle clinquant des centres commerciaux, ils regroupent des milliers de personnes qui ont toujours rêvé d’atteindre le « luxe » de la croisière réservé jusque-là à quelques privilégiés.
La croisière, véritable parc d’attractions flottant, a un objectif commercial essentiel, celui de maintenir captifs les passagers par des offres ludiques et variées pour encourager leurs dépenses à bord, (spectacles, boutiques, piscines…) au détriment des escales.
Au plan social, ces paquebots naviguent majoritairement sous pavillon de complaisance, pratiquent l’évasion fiscale, avec un « droit du travail » inexistant pour le personnel de bord.
À Ajaccio, comme à Bastia, la justification économique des croisières avancée par la CCI n’est pas démontrée ; dans tous les cas, elle ne contrebalance pas le coût des impacts sur la santé, sur l’environnement et le cadre de vie des habitants.
Au plan sanitaire, la preuve en a été apportée par l’étude ECAMED réalisée par I’INERIS à la demande du Ministère de l’Environnement.
La restitution de cette étude, introduite par Madame Élisabeth Borne le 18 janvier 2019 à Marseille démontre que la mise en place d’une zone ECA*, (émissions d’oxydes de soufre contrôlées par l’utilisation de carburant à 0,1% de teneur en soufre (comme en Manche-Mer du Nord en application depuis le 1er janvier 2015), et des émissions d’oxydes d’azote, conduiraient à des bénéfices pour la santé trois à quatre fois supérieurs aux coûts induits.
ET le rapport de l’Anses du 17 juillet 2019, qui confirme avec des niveaux de preuve forts, les effets sur la santé.
Où sont les études portant sur l’impact économique réel des navires de croisière en Corse auprès des commerçants ?
Qui les réalise ? Les acteurs économiques favorables aux croisières ?
La chambre de commerce et d’industrie aux bénéfices proportionnels au nombre d’amarrages des bateaux de croisière au port ?
Qu’en est-il par exemple des investissements réalisés par la collectivité pour accueillir ces navires ?
Et l’eau, et les déchets ? (Totale opacité).
Sauf à se complaire dans la désinformation des citoyens en faveur de groupes de pression, les prétendus bénéfices réalisés en Corse sont particulièrement nébuleux, cet argument n’est pas donc pas recevable en l’état.
Comme n’est pas recevable non plus le chantage à l’emploi présenté par la France dans le contexte actuel du changement climatique. 1
Il s’agit d’un choix politique d’orientation de l’activité économique.
Alors que le monde ordinaire est appelé à la plus grande sobriété énergétique la construction de paquebots gigantesques ou de méga-yachts à la consommation démesurée de combustible fossile est-elle soutenable dans le contexte du changement climatique en cours ?
La France ne devrait-elle passatisfaire enfin à ses engagements pris lors de l’accord de Paris sur le climat en 2015 en formant le personnel de la construction navale aux nouveaux métiers de la transition écologique ?
Ces paquebots ne sont plus les bienvenus :
Dubrovnik, Santorin, Palma de Majorque, en limitent leur nombre.
Venise, a rejeté les grands bateaux de croisière de la lagune en août 2021.
Et ces rejets se multiplient, à Marseille, Nice, la Ciotat, sans oublier Bruges (Belgique), Dublin (Irlande)
Bien sûr le tourisme érigé en industrie est à l’origine de bien d’autres problèmes :
Augmentation des prix des logements, exclusion des forces vives par la gentrification, constructions effrénées, augmentation du trafic polluant (avions, navires, véhicules automobiles), atteintes au cadre de vie, à la biodiversité, problèmes d’approvisionnement en eau, infrastructures désespérément insuffisantes, déchets, traitement des eaux, nuisances à la vie sociale, privatisations des plages, perte de repères etd’identité.
Ce modèle touristique assorti d’une bétonisation à outrance altère et déprécie l’image de marque de la Corse.
Un article de Géo du 27 juillet 2022 intitulé « Tourisme de masse : top des 10 destinations à éviter cet été pour s’en préserver », nous semble être une alerte sérieuse pour Ajaccio qui figure à la 3ème place.
MAIS dans ce même temps, des projets de transformation de ce modèle touristique tentent d’émerger sous nos yeux à destination d’une clientèle à très hauts revenus : le tourisme VIP
Cette forme de tourisme est à destination des plus fortunés qui cherchent à rematérialiser leur richesse en exhibant leurs méga-yachts de plus en plus spectaculaires. Non seulement le marché du super-yachting n’a pas souffert pendant la période COVID mais il a même été dopé par la distanciation sociale.
Les projets de coffres d’amarrage de méga-yachts tout autour de la Corse et dans le Golfe d’Ajaccio classé Natura 2000 en sont un exemple flagrant.
Dans ces projets, financés par de l’argent public du plan France relance, État, Élus, CCI, accorderaient même des restrictions d’usage à destination du monde social ordinaire dans les périmètres des zones de mouillages afin que les plus fortunés puissent afficher ostensiblement leur volonté de séparatisme social par le haut.
De fait, les ajacciens seraient exclus de leurs droits légitimes à la baignade plages de St François et du Lazaret.
Nous sommes bien loin du tourisme soutenable espéré, qui devrait lui, reposer sur 3 piliers : économique, social et environnemental.
Alors que l’inflation nous guette et que nous sommes appelés à la plus grande sobriété énergétique, selon « yacht CO2 tracker », entre le 03 et le 09 septembre, 59 yachts de luxe ont croisé autour de la Corse, ils ont consommé plus de 1million de litres de carburant et produit un total de 2667 t de CO2, dont 719 t de CO2 à proximité directe de l’ile.
La plupart de ces 59 yachts de luxe navigue bien sûr sous pavillon de paradis fiscaux (24 battent pavillon des Iles Caïmans, 9 battent pavillon Maltais et 6 battent pavillon des îles Marshall )
– Devons-nous continuer à assister à la dévastation de la Corse en silence ?
– Devons-nous assister sans mot dire à la privatisation des rivages de la Corse (terre et mer) ?
– Devons-nous accepter sans mot dire qu’une minorité continue d’asphyxier la plus grande majorité pour remplir ses caisses ? (croisières, low-cost, coffres d’amarrage, méga- yachts …)
Aujourd’hui, nous attendons une feuille de route qui fixent des mesures concrètes de régulation de cette hyper- fréquentationpar la limitation drastique des paquebots et des projets aberrants.
Le mot quotas ne doit plus être tabou,
Aujourd’hui et plus que jamais seul l’intérêt des corses doit primer !
- Zones NECA (limite carburant à 0,1% de SOx et moteurs répondant à la norme Tier3 pour les NOx) : mer Baltique, mer du Nord et Manche ;
- Zones SECA (limite à 0,1% de SOx) : Amérique du Nord, Caraïbes.