Deux responsables d’ENGIE nous ont invité le 26 février 2018 pour nous informer sur le projet de remplacement des réservoirs de GPL au Loretto, le projet LOREGAZ. Ce fut aussi pour nous l’occasion de leur présenter notre opposition non tant au projet en lui-même qu’au fait qu’il sous-estime les risques et ouvre à une urbanisation proche irrationnelle dans ce contexte.
Nous demandons :
- soit que ENGIE nous affirme publiquement que même en cas de catastrophe majeure le risque d’explosion des cuves serait nul, ce qui semble impossible ;
- soit que ce risque soit pris en compte pour ce qu’il est : hautement improbable mais pas nul.
Les conséquences adéquates pourrait ainsi être prises en toute lucidité dans les PPRT, PPI et surtout PLU.
Nous avons reçu une écoute attentive et la promesse de réponses rapides aux questions développées ci-après.
Références
- Site d’ENGIE
- Circulaire du 10 mai 2010
- Catastrophe de Los Alfaques
- Catastrophe de San Juan Ixhuatepec
- DICRIM d’Ajaccio
- Risques d’inondations à Ajaccio
- Glissement de terrain résidence des îles en 1990
- Séisme à Cauro en 1928
- Actes de malveillance sur sites SEVESO
Le contexte du projet
Les sphères de stockage de butane du Loretto alimentent Ajaccio en gaz.
Le risque majeur de ce type d’installation est celui de l’explosion des sphères que l’on nomme BLEVE (c’est un acronyme anglais).
Aujourd’hui un BLEVE au Loretto aurait des effets dévastateurs sur un rayon d’un kilomètre pour une population estimée à 6000 personnes avant l’accident. Un plan de prévention des risques interdit actuellement les nouvelles constructions dans ce périmètre.
Pour remédier à cela l’exploitant du site, qui est ENGIE, projette :
- de construire une nouvelle installation plus sûre à coté de l’ancienne ;
- de considérer que la fiabilité de la nouvelle installation fait que la probabilité d’un BLEVE est si faible qu’elle peut être ignorée et qu’ainsi une urbanisation dense peut se développer autour des nouvelles sphères de gaz.
Pour citer ENGIE :
L’objectif est de réduire autant que possible les effets identifiés dans l’étude de dangers du site, afin de limiter au maximum les conséquences sur l’urbanisme et les expropriations ou délaissement des habitations concernées.
Il faut savoir que l’évaluation des effets des phénomènes dangereux est de la responsabilité de l’exploitant mais qu’il doit démontrer la pertinence de ses modèles. Dans le cas présent la société ENGIE a décidée d’ignorer les scénarios de BLEVE sans s’exprimer sur les effets dominos, les glissements de terrains, les crues exceptionnelles, les séismes, les actes de malveillance.
C’est un point insignifiant en regard de l’abandon de toute précaution d’éloignement de l’urbanisation mais il est planifié le remplacement du butane par le propane. Le propane est un gaz plus dangereux que le butane car sa température limite de surchauffe (TLS) est plus basse. La TLS est un paramètre prépondérant dans les condiditions qui conduisent à un BLEVE chaud.
Un BLEVE chaud se produit lorsque le fluide compressé subit une détente à la pression atmosphérique au-delà du point de convergence des deux courbes.
La disparition du risque de BLEVE : comment ENGIE y arrive
Les cause d’un BLEVE
L’occurrence d’un BLEVE est liée à la rupture brutale d’un réservoir de gaz liquéfié, survenant lorsque le réservoir est soumis à une agression thermique ou mécanique. Le phénomène de BLEVE est donc l’effet domino d’un événement précurseur tel que l’impact d’un projectile, l’échauffement par un feu torche impactant, un surremplissage,…
Plus simplement le scénario d’école d’un BLEVE trouve son origine dans un incendie provoqué par une fuite de gaz dont les flammes touchent la sphère de gaz. Tant que la sphère de gaz est protégée du contact des flammes le BLEVE n’a pas lieu.
Dans le cas du projet LOREGAZ, l’encoffrage des sphères constituerait la barrière entre les flammes et les sphères. En cas d’acte de malveillance entre l’encoffrage et les sphères un BLEVE pourrait se produire. En cas de détérioration de l’encoffrage suite à un glissement de terrain par exemple un BLEVE pourrait se produire.
La stratégie globale
Les apports du projet d’ENGIE en matière de diminutions des risques sont indéniables.
Le plus important serait le fait de sortir de la zone inondable.
Les autres viendraient de l’amélioration du savoir-faire dans la conception d’un site.
- L’ensemble du site serait encaissé dans une excavation de la falaise ;
- Les systèmes de sécurités bénéficieraient des derniers progrès technologiques ;
- Les sphères seraient encoffrées dans une enceinte de béton et isolées passivement du contact des flammes même en cas d’incendie.
Le site
Le nouveau site serait implanté dans une excavation de la falaise située au dessus de l’ancien.
Sur cette image des lieux prise de géoportail, on comprend mieux avec les informations d’altitude rajoutées.
L’ancien site est quasiment dans le lit de la rivière Arbitrone.
Le nouveau site se situerait dans une excavation de la falaise, en zone non-inondable, et aussi sur l’ancien site, en zone inondable et inconstructible par le nouveau PPRI.
Le cas du sur-remplissage
De la circulaire du 10 mai 2010 : l’événement BLEVE dans le cas de la surpression lors de la phase de remplissage peut ne pas apparaître dans l’étude de dangers et ne pas être considéré pour la maîtrise de l’urbanisation si la technique employée et les caractéristiques des matériels ne permettent pas d’atteindre la pression de rupture des réservoirs.
C’est le cas retenu par l’étude d’ENGIE.
Le cas de l’incendie
De la circulaire du 10 mai 2010 : dès lors que des mesures de conception des réservoirs ont été mises en place de manière à résister à l’ensemble des agressions thermiques décrites dans l’étude de dangers, l’accident représentant le BLEVE du réservoir pour cause d’agression thermique ne sera pas repris dans l’étude de dangers et dans les mesures relatives à l’urbanisation. L’exploitant disposera de critères pertinents pour s’assurer du maintien dans le temps de la capacité de la protection thermique à assurer sa fonction de sécurité.
C’est le cas retenu dans l’étude d’ENGIE.
La Circulaire du 10 mai 2010
Les démonstrations d’ENGIE ne considérent que les scénarios de faible granularité, la rupture d’un tuyau par exemple, en les isolant de leur contexte, le glissement de terrain entrainant de multiples détériorations par exemple. Cette démarche est contraire à l’appréciation de réduction du risque à la source telle qu’elle est définie par la circulaire du 10 mai 2010 qui dicte de considérer les événements initiateurs menant à des effets dominos pour les risques concernés tels que le BLEVE.
Le discours d’ENGIE s’auto-sécurise : dû au coffrage il n’y a pas de risques de BLEVE chaud donc les effets dominos ne sont pas à considérer.
A l’inverse si l’on considère les initateurs d’effets dominos (VCE, glissements de terrains, séismes et malveillance) on peut s’interroger sur la déterioration du coffrage et l’intrusion dans le coffrage avec les risques de BLEVE qui en découlent. Tout le monde n’y a vu que du feu !
L’autre argument implicite est de sous-entendre que ces événements sont si rares que l’on peux les oublier. Cela ne tient pas non plus car le cas est parfaitement prévu par la probabilité de classe E dont la définition est : évènement possible mais extrêmement peu probable : n’est pas impossible au vu des connaissances actuelles, mais non rencontré au niveau mondial sur un très grand nombre d’années-installations.
Cette simple vue objective des choses est suffisante pour considérer que les installations industrielles intrinsèquement dangereuses sont à leur place dans les zones industrielles en périphérie des villes mais pas en leur plein centre.
Les nouveaux bâtiments sur l’emplacement du site existant
Il y aurait encore dans la nouvelle installation des bâtiments construits sur le site existant : le bâtiment mélangeur/compresseur d’air qui provoque un périmètre de risque et des bâtiments techniques.
On est là dans l’incompréhensible puisque le PPRI classe cette zone en aléas inondation fort strictement inconstructible.
L’Arbitrone collecte sur un sol imperméable les eaux d’un talweg de mille hectares. On peut ici citer le 29 mai 2008 en rappelant que l’Arbitrone est le principal affluent du canal des Cannes et que l’urbanisation projetée au Loretto serait plus dense qu’elle ne l’est aux Cannes aujourd’hui.
Les risques oubliés
Les effets dominos d’une explosion sur le site
L’explosion d’un nuage de vapeur sur le site peut détruire le coffrage de béton. Un scénario de perforation à froid des sphères serait alors possible.
Deux facteurs aggravant sont ici a mentionner.
- Les cuves subissent inexorablement une corrosion de type électrochimique qui rendent moins résistantes aux perforations hors elles sont prévues pour longtemps.
- La topologie excavée du site a le mérite d’atténuer la dispersion des explosions mais en contrepartie les rend plus violentes en son enceinte.
Le glissement de terrain
Tout dans ce site concourerait à un risque de glissement de terrain brusque et intense :
- la pente importante ;
- La hauteur du mur formé par l’excavation ;
- le sol de granite en voie d’arénisation par strates ;
- Les alternances de sécheresses intenses et de collectes des précipitations orageuses au fond d’un talweg de 1000 hectares.
Le séisme
Ajaccio est sous la menace d’un séisme de magnitude cinq tel que celui qui s’est produit à Cauro en 1928. S’il advenait, la détérioration des systèmes de sécurité, les ruptures des tuyaux, les glissements de terrains et les incendies seraient alors notables. On peut ici se souvenir de Fukushima où la sécurité reposait sur les générateurs de secours qui ont été les premiers noyés par la vague géante.
L’acte malveillant
L’acte malveillant efficace pourrait être une intrusion dans l’encoffrage pour placer un pot thermique de puissance suffisante sous la sphère.
Une bombe reste un bombe !
Si le risque de BLEVE en restait ignoré, la réalisation de ce projet entrainerait une modification du PLU ouvrant à une urbanisation intense et au mileu des futurs immeubles il y aurait de quoi faire tout sauter. Qui peut penser que ce soit sensé ?