Le ministre des Outre-mer Manuel Valls a relancé le 11 février le débat sur l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures en France, en répondant au sénateur de Guyane Georges Patient.
La France possède 9 gisements de pétrole, dont la production représente actuellement 1 % de la consommation nationale. La réouverture de l’exploitation du pétrole contenu dans le sol français, notamment dans les territoires ultramarins, pourrait être une manne financière pour le pays en crise.
Mais cela n’est pas du goût de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, qui s’y oppose, attachée à l’énergie décarbonée et à la transition énergétique.
Alors que la France achète à prix d’or ses hydrocarbures notamment aux États-Unis et au Kazakhstan, le pays refuse d’exploiter ses propres ressources, alors qu’il possède le deuxième espace maritime mondial, dans une partie des fonds sont riches en hydrocarbures.
Le territoire de Guyane pourrait regorger de pétrole et de gaz
« Il faut ouvrir le débat, y compris sur la loi Hulot », a déclaré le 11 février Manuel Valls au Sénat. Le sénateur Georges Patient (RDPI – Guyane) lui demandait d’abroger la loi Hulot de 2017 qui vise à mettre fin à la production d’hydrocarbures sur le sol français d’ici à 2040.
« Nous voyons les pays voisins de la Guyane accélérer en matière de prospection et d’exploitation, au Guyana, au Suriname ou au Brésil », a observé Manuel Valls. « Le PIB du Guyana a triplé en 3 ans et le Suriname suit. Avec les mêmes ressources, la Guyane est maintenue sous cloche par des décisions centralisées entravant toute dynamique et favorisant l’exploitation illégale et l’économie souterraine », avait expliqué Georges Patient.
« J’ai demandé à mes services d’étudier la conventionnalité, c’est-à-dire la compatibilité aux traités internationaux […] et au droit communautaire d’éventuelles initiatives législatives pouvant émaner des parlementaires », a poursuivi le ministre des Outre-mer. « La recherche d’hydrocarbures n’est plus permise. La COP28 de Dubaï invite à s’éloigner des énergies fossiles, mais les voisins de la Guyane prospectent », selon l’ancien Premier ministre.
Les ressources des voisins du département français d’Amazonie alimentent depuis longtemps l’idée que celui-ci pourrait également regorger de pétrole et de gaz. Mais TotalEnergies – qui bénéficiait d’un prolongement temporaire de son permis de recherche après l’adoption de la loi Hulot – avait mis fin en 2019 à des forages exploratoires au large de la Guyane, n’ayant rien trouvé.
« Ce qui n’aurait pas de sens, c’est de refuser depuis Paris d’ouvrir un débat demandé par les élus locaux », fait valoir l’entourage de Manuel Valls. « Si on souhaitait que ce territoire tourne le dos à la France, on ne s’y prendrait pas autrement », a ajouté la même source.
L’opposition de la ministre de la Transition écologique
La réponse du ministre des Outre-mer a suscité l’opposition de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, pour laquelle cela « n’aurait pas de sens ».
« Dans un contexte où les énergies fossiles sont responsables du dérèglement climatique et les territoires ultramarins les premières victimes de celui-ci, revenir sur la loi Hulot n’aurait pas de sens », a réagi Agnès Pannier-Runacher, dans une déclaration de son cabinet.
« Ce d’autant que la France peut se prévaloir d’être un des leaders en matière d’énergies décarbonées, y compris dans les territoires ultramarins. Ce serait d’autant plus incompréhensible que la France est à l’origine de l’accord de Paris et a porté à la COP28 des avancées en matière de sortie des énergies fossiles », a-t-elle fait valoir.
Les ONG environnementales également vent debout
Le Réseau action climat, qui regroupe de nombreuses ONG, a dénoncé de son côté une « incohérence flagrante, entre les propos du ministre des Outre-mer et les anciennes positions diplomatiques et nationales de la France », qui « menacent directement les écosystèmes précieux de la région et bafouent les engagements climatiques de notre pays ».
Le WWF a demandé une rencontre avec Manuel Valls et son collègue Marc Ferracci, ministre de l’Industrie, « afin de proposer des solutions de développement soutenable de la Guyane cohérentes avec les engagements environnementaux du gouvernement ».
« Bien que le besoin de développement local en Guyane soit urgent, le WWF dénonce cette éventuelle relance du mythe pétrolier comme une erreur économique et environnementale et appelle à investir dans un développement durable » dans ce département, a écrit l’ONG internationale.
Agnès Pannier-Runacher déjà défavorable à de nouveaux forages en Gironde
Agnès Pannier-Runacher s’était dite défavorable, le 6 février, au projet de huit nouveaux forages pétroliers près d’Arcachon en Gironde, prenant le contrepoint de son prédécesseur Christophe Béchu sur le dossier.
En décembre 2023, Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique, avait jugé à propos de ce projet que, tant que la France avait besoin de pétrole, il n’était « pas plus mal qu’il vienne d’ici plutôt que de le faire venir du bout du monde ». Le ministre délégué à l’Énergie Roland Lescure s’était aussi montré favorable en février 2024 au projet des huit nouveaux forages.
Ces nouveaux forages près d’Arcachon sont souhaités par le groupe canadien Vermilion Energy, titulaire jusqu’au 1er janvier 2035 d’une concession exploitée depuis les années 1960 sur la commune de la Teste-de-Buch. Une cinquantaine de puits y produisent actuellement environ 1500 barils/jour.
Plusieurs manifestations avaient eu lieu contre ce projet. La militante écologiste Greta Thunberg avait participé en janvier 2024 à la principale d’entre elles, qui a réuni 3000 manifestants selon les organisateurs et 1200 selon la préfecture.
La France s’interdit d’extraire son propre pétrole
En 2017, le gouvernement avait fait voter l’arrêt progressif de l’exploitation des hydrocarbures à l’horizon 2040, avec quelques dérogations pour les entreprises qui avaient déjà des concessions en vigueur.
Au 1er janvier 2040, la loi Hulot – présentée dans le « Plan climat » de 2017 – mettra fin « à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures », dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques de l’Accord de Paris.
En crise économique et énergétique, la France possède actuellement 9 gisements de pétrole reconnus. La production de pétrole représente 1 % de la consommation nationale, réalisée aux deux tiers dans le bassin parisien et le reste dans le bassin aquitain, en Gironde.
La France possède également le 2e espace maritime mondial, appelé Zone économique exclusive (ZEE). Selon le gouvernement, les bassins sédimentaires connus et propices aux recherches d’hydrocarbures couvrent actuellement une superficie de plus de 200.000 km2 en mer (soit 2 % de la ZEE de la France) et plus de 70.000 km2 à terre (soit 11 % du territoire total de la France).
Pendant ce temps, l’Europe cherche à exploiter ses ressources minières
Stéphane Séjourné, le commissaire européen chargé de la stratégie industrielle, a dit vouloir accélérer la réouverture de mines de métaux rares en Europe et a reçu 170 projets d’exploitation ou de recherches minières, a-t-il déclaré le 29 janvier 2025, lors de la présentation de la « boussole compétitivité » de l’Union européenne.
Au nom de la souveraineté industrielle, Stéphane Séjourné entend rouvrir des mines de métaux et terres rares au sein de l’UE malgré les mobilisations régulières de militants écologistes contre ce type de projets.
« La diversification des approvisionnements fait partie de l’urgence pour moi. On va faciliter » l’attribution de permis, a expliqué le commissaire européen. « Je suis prêt à mettre beaucoup de capital politique là-dessus parce que j’y crois vraiment », a insisté ce proche d’Emmanuel Macron, qui voudrait éviter une trop grande dépendance à l’égard de pays comme la Chine.